Sexy malgré la grossesse, sexy à tout prix ! par Atiqa Rached Belhacene
SERIE “LES CORPS QUI TOMBENT ENCEINTES”/ ARTICLE 01
« Ne laisse pas la maman tuer la femme en toi », « Être plus sexy que jamais en étant enceinte », « garder la ligne malgré la grossesse » … Les titres du même type sont de plus en plus nombreux sur internet, différents mais sensiblement similaires. Ils portent tous le même message : non seulement la grossesse serait « un truc Cool et Glamour » mais en plus les femmes, même en étant en train de préparer la venue au monde d’un être totalement dépendant physiquement d’elles, devraient être capables de continuer à se prodiguer les mêmes soins et la même attention qu’avant de tomber enceintes, de fournir les mêmes efforts et de dépenser les mêmes énergies pour s’entretenir physiquement et mentalement afin de demeurer désirables pour les hommes. Pas de repos pour les braves, qui aussitôt avoir mis bas, reçoivent une panoplie d’injonctions à gommer toute trace de leurs accouchements sur leurs corps, à commencer par leurs vagins.
Cache-moi cette vulve noircie que je ne saurai voir !
Durant les neuf mois de grossesse qu’on vit seules -car personne n’est enceinte avec noues- on noues dit que noues ne devrions pourtant pas oublier « le plus important », c’est-à-dire non pas noues, non pas nos corps souffrants et nos psychés chamboulés, mais les besoins sexuels des hommes qui partagent nos lits. Combien d’entre noues se sont retrouvées à culpabiliser pour le moindre kilo supplémentaire ? Combien ont dû entendre de la part de leurs conjoints ou de leur entourage que si elles continuaient à prendre du poids en étant enceintes, leurs maris risquaient de ne plus les désirer ? Combien avons-nous vu excusées et justifiées les infidélités de nos conjoints par nos grossesses répétées, même lorsque ce fut eux à l’origine du désir d’enfant ?
Si dans d’autres pays, la chirurgie de l’intime, à commencer par le Lifting vaginal connaissent un boom sans précédent, en Algérie, l’industrie parapharmaceutique et la médecine artisanale ne savent plus quoi inventer pour remettre le compteur de nos parties génitales à 12 ans, tout de suite après un accouchement. Les Tutoriels et les annonces sur les réseaux sociaux sont légion pour faire la promotion de tout un tas de crèmes éclaircissantes de la vulve et des mamelons, de pommades cicatrisantes, de produits anticellulite du ventre, de tous types de gommages, ou encore de diverses astuces et recettes pour le rétrécissement vaginal, mais aussi et de plus en plus, les femmes se voient prodiguer des conseils de tout genre, en étant encore enceintes, pour « sublimer » leurs formes naturellement modifiés par la grossesse, atténuer la trace de celle-ci sur leurs corps, et demeurer « opérationnelles » sexuellement auprès des hommes.
Un petit tour sur le Marketplace du réseau social Facebook et noues voilà généreusement servies. Noues pourrions, par exemple, tomber sur un savon appelé « Virginity », d’origine philippine et dont le nom dit déjà beaucoup de l’usage auquel il est destiné. Sur sa présentation, nous pouvons lire : « Purifie et nettoie les parties intimes …aide à resserrer le vagin…conseillé pour une utilisation en période de règles ou après un accouchement » ! Noues pourrions, aussi, tomber sur des gouttes vaginales du nom de « Blue Wizard », d’origine controversée, sensées noues débarrasser de notre froideur sexuelle même pendant une grossesse, ou alors noues pourrions, tout aussi bien, faire la joyeuse rencontre des suppositoires vaginaux du nom de « Double Virgin X 2 », d’origine thaïlandaise, décrits comme étant « les suppositoires les plus puissants pour noues débarrasser de nos problèmes de relâchement vaginal jusqu’au prochain accouchement » !
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Si, à tout hasard, vous faites partie de celles qui hésitent tout de même un peu avant de mettre des produits chimiques dont on ne sait pas grand-chose dans leurs vagins, soyez rassurées ! On ne voues a pas oubliées sur Marketplace. Plusieurs faux profils voues proposeront de venir en conversation privée pour voues dévoiler la recette secrète d’une farce miracle à manger pendant dix jours pour resserrer votre vagin et supprimer la cellulite sur votre ventre après votre grossesse. On voues proposera même un petit tour dans une wilaya du sud pour un massage qui vous guérira définitivement de votre froideur sexuelle durant les trois mois suivant votre accouchement.
Comme il n’est pas question qu’un vagin bien serré soit contenu dans une vulve et surplombé par des mamelons devenus plus foncés durant la grossesse, l’industrie parapharmaceutique et la médecine artisanale s’occupent aussi de la dépigmentation de nos seins et nos parties génitales. Crèmes à base d’acide lactique, huile de thé vert, lotion à base de jus de citron mélangé à une crème de change, acide Kojic, acide glycolique…une dizaine d’annonces de vente de produits et de promotion de recettes fait maison vous attendent avec pour seul objectif : Faire comme si vous n’avez jamais été enceintes.
Savent-ils vraiment ce qu’est une grossesse ?
Au point où nous en sommes, faut-il rappeler à notre société ce qu’est une grossesse ? Est-il devenu nécessaire et urgent d’expliquer ce qui préoccupe les femmes durant et après la grossesse, mis à part la pigmentation de leurs vulves ? Il semblerait que oui.
En dépit des divergences d’opinion entre les courants de psychologie moderne, tous s’accordent à dire que la grossesse, en dépit de son caractère naturel, est une étape singulière du développement physique et psychoaffectif des femmes, qui induit inéluctablement à des remaniements psychiques importants, à un changement d’identité personnelle et à une métamorphose des relations aux autres. On la qualifie de « crise psychique maturative », car elle partage certaines caractéristiques avec la crise névrotique ou psychotique, comme l’émergence de l’anxiété, de l’insomnie ou l’hypersomnie et certains troubles et angoisses.
Toutes ne sortent pas indemnes psychologiquement de l’expérience de la grossesse et celles qui s’en sortent gardent souvent une mémoire vive de l’expérience de la déprime. Le caractère commun et universel de la grossesse n’en fait pas factuellement une expérience psychologique à caractère familier pour toutes les femmes. L’invisibilité du fœtus qui se développe à l’intérieur du corps féminin et qui le modifie, faisant partie d’elle sans être une partie d’elle, est d’une étrangeté empreinte d’interrogations et de perturbations souvent rapportées par les femmes comme étant à l’origine d’un remodelage complet de leurs vécus psychiques, de leurs relations au monde ainsi que de l’organisation de leurs perceptions.
Si d’un point de vue médical, il n’y a aucune contre-indication à continuer à avoir une activité sexuelle durant la grossesse, Il est à noter que dans l’ensemble du règne animal, le comportement sexuel s’arrête pendant la période où la femelle est gravide. Seuls les mâles des primates continuent à être demandeurs de rapports sexuels, y compris quand la femelle est gravide. Il est à noter aussi que la libido fluctue en fonction des trimestres et des mois de grossesse, selon les changements hormonaux, les nausées, la fatigue, l’afflux sanguin au niveau de la zone pelvienne, la prise de poids et les douleurs liées à la grossesse et qui éprouvent rudement le corps féminin.
Par exemple, les nausées matinales n’ont rien à avoir avec celles toutes joyeuses qu’on nous montre à l’écran. La femme accroupie sur le siège des toilettes, tout bien coiffée, et le mari à coté la regardant avec ses yeux amoureux, le tout sous une musique tendre et romantique, c’est du cinéma. Ces nausées n’ont non seulement rien de « mignon » et ne sont pas que matinales, elles peuvent aussi survenir en tout endroit avec tous les désagréments qui vont avec mais elles sont aussi souvent plus intenses que ce qu’on raconte. Il n’est pas non plus exclu qu’elles durent au-delà des premiers mois. Quand il arrive qu’elles se calment avec l’avancement de la grossesse, ce n’est que pour laisser place aux remontées acides. Un mal qui dure des mois, que rien ne guérit et qui transforme la routine alimentaire en un réel calvaire. Associé aux maux de dos persistants, il est quasiment impossible de fermer l’œil avec.
La prise de poids est un phénomène naturel, sain et inévitable. Les kilos supplémentaires viennent du poids du fœtus, du placenta et du liquide amiotique, de l’augmentation du volume de l’utérus et de la poitrine ainsi que de la quantité de sang, des liquides corporels et des réserves de graisses qui se développent pour être utilisées dans la production de lait après l’accouchement. L’hyperpigmentation de la peau est due à une plus grande production de la mélamine pendant la grossesse, et les vergetures à un étirement important et rapide de la peau du fait de l’augmentation du volume du ventre.
Dans une société comme la nôtre et dans bien d’autres, la grossesse a aussi des implications sur la place sociale des femmes. Aussi vrai que pour beaucoup d’elles, le désir de grossesse n’est pas lié à un désir d’enfant concret et que les deux projets bien que visiblement liés, sont dans les faits complètement dissociés. La grossesse est motivée par le désir inconscient/conscient de vérifier l’intégrité du fonctionnement de son corps et de rassurer son entourage sur ses pleines capacités de procréation, capacités qui ne sont validées que si l’enfant né est en bonne santé et qu’il est, de préférence, de sexe masculin car ce n’est que par la naissance d’un enfant mâle que la femme s’assure une protection contre les mâles de la famille de son côté et de celui du père en ce qui concerne la succession de ses biens et de ceux de son conjoint.
L’accouchement[1] est également une étape de grand bouleversement pour le corps des femmes. Durant plusieurs heures, et parfois plusieurs jours selon les femmes, le corps est traversé par plusieurs changements complexes et extrêmement douloureux pour permettre la naissance du bébé. Les contractions utérines aident à l’ouverture du col de l’utérus jusqu’à plus de 10 centimètres de diamètre pour permettre le passage du bébé, processus pendant lequel le corps est soumis à une tension intense et synchronisé de de manière complexe pour permettre la naissance en minimisant le risque de complications.
La grossesse est donc, et à plus d’un titre, une expérience féminine singulière sur le plan psychologique, physiologique et social, durant laquelle il est tout à fait naturel que les femmes ressentent le besoin de se recentrer sur elles-mêmes et de diriger leurs énergies vers une auto prise en charge. Mais alors que l’énergie psychologique et physique des femmes est exceptionnellement sursollicitée, comment peut-on continuer à noues dire qu’il n’est pas normal d’observer une période de « Hors service sexuel » ou de « service sexuel réduit » en ces circonstances ?
[1] Ce sujet fera l’objet d’un autre article, dans la continuité de celui-là.
Leçon de moral, bien assumée.
Que faire de toutes ces injonctions à être et à demeurer désirables pendant et après une grossesse, à prioriser le maintien d’un comportement sexuel conforme aux attentes des hommes sur notre propre bien-être ? les carboniser sur un bûcher. Il est temps que les femmes prennent conscience qu’il n’y a aucun mal et aucune anormalité à ne pas avoir un comportement sexuel ou à ne pas éprouver le désir de rapports sexuels durant la grossesse. Cela ne signifie pas que la sexualité doit être bannie durant la grossesse mais que les femmes ne devraient plus se sentir obligées de se soumettre à des règles désuètes de séduction et d’avoir une sexualité en étant enceintes.
Il n’y a pas lieu de culpabiliser de ne pas être réceptive et disponible sexuellement pour son conjoint durant la grossesse. Il n’y a pas lieu de dire « le pauvre, ça fait 4 mois qu’il ne m’a pas touchée » ! car la relation conjugale n’est pas une dette sexuelle à rembourser à vie. Non, il n’y a pas de calendrier de charges sexuelles à suivre pour le bon plaisir des hommes. Les corps des femmes endurent à eux seuls la charge de la continuité de l’espèce humaine et il est grand temps que les hommes en prennent conscience et en portent la responsabilité avec noues, ne serait-ce qu’en comprenant et en acceptant le changement de notre sexualité durant la grossesse.
Il est temps que les femmes se sentent à l’aise dans leurs corps malgré toutes les transformations que la grossesse opère sur eux. Nos mamelons changent de teint, ils ne « noircissent » pas. Nos jambes gonflent, elles « ne perdent pas de leur finesse ». Dix kilos en plus ne sont pas dix kilos en trop. Il est temps que noues comprenions que nos corps ne sont pas des vitrines de prêt à porter et encore moins des lieux de confinement symbolique qui fixent les limites de nos mouvements et de nos libertés, mais les rallongements visibles de noues-mêmes, l’expression la plus puissante de notre femelittude.
Noues sommes les femelles adultes du genre humain. Si noues en prenions pleinement conscience, alors cette conscience n’aurait pas de prix.
Atiqa Rached Belhacene
Présentation de la contributrice:
“Je suis Belhacene Atiqa, militante féministe algérienne. Historienne et critique d’art de formation, je travaille depuis une dizaine d’années dans la coordination, le suivi et l’évaluation de projets associatifs en lien avec le féminisme, les violences sexistes, et le soutien aux populations vulnérables. Je suis Co-fondatrice de ” Initiative Dépression Post-Partum DZ “.
L’écriture est pour moi le lieu des luttes féministes par excellence. Par cette série d’articles intitulée ” les corps qui tombent enceintes” , j’effectue un retour aux sources et à des racines féministes, douloureux mais essentiel “.