CHARIA, code de la famille, capitalisme et patriarcat: les sources uniques de la polygamie en Algérie.
La polygamie est revenue au débat le 04 septembre 2022, suite au mariage d’un jeune homme avec deux femmes le même jour à Skikda.
Volontairement, l’homme au visage découvert rend visible sur les réseaux sociaux son mariage avec deux femmes dont les visages seront cachés comme par hasard.
Le débat de certaines voix pourtant pro égalité, a tourné vers des justifications au nom du poly amour. Mais qu’est ce que la polygamie en Algérie? Qu’est ce que le poly amour qui demeure une liberté?
La polygamie dans notre contexte, en plus d’être une discrimination, est un débat qu’il ne faut pas confondre avec des concepts liés aux libres choix qui ne peuvent pas exister dans des contextes où l’égalité des sexes est encore tabou.
Nous avons observé que certain.e.s parlent du poly amour comme concept source suite au mariage de Si Rchid Skikdi (comme il s’est fait appeler sur les réseaux sociaux) avec deux femmes le même jour. Les arguments qui essayent de nous expliquer que c’est une liberté et que c’est du poly amour détournent le regard et semblent porter le déni du verset coranique source qui a permis à Rachid de faire ce qu’il a fait. D’ailleurs c’est de façon consciente et assumée que la marié a mis le verset coranique autorisant la polygamie pour les hommes sur la carte d’invitation de son mariage , en l’amputant de sa fin: و لن تعدلو ( et vous ne serez pas justes)
La polygamie en Algérie est régie par le CODE DE L’INFAMIE inégalitaire, promulgué en 1984. A titre de rappel ce fut au nom de la CHARIA et non pas au nom de la révolution anti codes et normes binaires, d’ailleurs à cette époque les codes binaires hétéronormatifs n’étaient absolument pas critiqués dans notre société.
Soyons honnêtes avec nous mêmes! La polygamie existe chez nous au nom d’un texte de loi inspiré de la Charia et non pas au nom du choix d’une société libre et libérée des normes binaires de par son émancipation. ( Les normes binaires font que le couple se compose de deux personnes seulement, qui sont de sexes opposés)
La polygamie existe en Algérie dans le cadre d’un schéma patriarcal misogyne et méprisant envers les femmes: un schéma qui reprend parfaitement toute l’histoire capitaliste du mariage civil, une histoire presque pas différente de l’histoire du mariage religieux, au tant qu’institution capitaliste qui s’adapte aux normes sociales des détenteurs du capital, du pouvoir, et des privilèges : Non mesdames et messieurs : dans la forme de polygamie qui existe dans notre société et qu’a pratiqué Si Rachid Skikdi, il ne s’agit pas du poly amour, ni du concept des relations libres ou dites relations non exclusives choisies: il s’agit de lois et de pratiques qui perpétuent le regard réducteur envers les femmes et leur rôle dans le mariage / la famille . Elle est d’ailleurs comme par hasard critiquée par la majorité écrasante quand le polygame est un homme pauvre, et souvent acceptée, expliquée et justifiée quand elle est pratiquée par un homme d’une classe sociale aisée, un propriétaire…
On trouvera dans les argumentaires pro-polygamie qui ont suivi la polémiques déclenchée par le mariage de Rachid Skikdi, que l’homme qui est censé avoir la légitimité d’être polygame, est décrit de la même façon avec laquelle on décrit habituellement un investisseur qui détient à lui seul les moyens de production et ce n’est absolument pas un hasard, ni d’ailleurs un fait lié à l’explication très peu approfondie qui se limite à juger les femmes d’individues/personnes matérialistes, en déformant et galvaudant le sens du matérialisme et en le diabolisant pour en faire juste quelque chose de péjoratif pour juger les femmes.
Dans les argumentaires pro-polygamie les femmes quant à elles, elle ne sont pas décrites comme celles qui n’ont que la force de leur travail pour vivre, ni comme des personnes qui détiennent quoi que ce soit: elles sont plutôt décrites et identifiées comme des objets déshumanisées et au mieux infantilisées – le moyen même de la production- : un moyen que peuvent posséder sans modération ceux qui ont le plus d’argent ou le plus de pouvoir . Quant à la polygamie des hommes pauvres tout le monde presque, de toute mentalité et de toute idéologie, tout le monde s’est entendu sur le fait que c’est de la bêtise, sans être pour au tant d’accord pour dire si c’est sexiste ou non, si c’est misogyne ou non . ( les pro-polygamie de chez nous)
Personnellement quand je vois les statistiques relatives à la polygamie, je conclue que c’est une pratique rare, et que beaucoup disent être pour probablement pour provoquer. Sauf que ces avis dont les données sont peu disponibles pour comprendre le fond, constituent une importante barrière pour l’interdiction catégorique de la polygamie en Algérie. Faut-il les ignorer, ou plutôt en débattre? Pour moi il faut en débattre tant qu’il y a une loi qui permet de concrétiser cette discrimination et tant qu’il y a des femmes qui subissent les conséquences.
Il y a des choses intrigantes pour moi dans tout ce débat, et je pense que ça l’est même pour des personnes non privilégiées dans cette société qui malgré son hétérogénéité et sa complexité continue à banaliser dans sa globalité visible les pratiques machistes .
Je pense que y compris pour les personnes qui assument leurs luttes contre le modèle binaire hétéro normé et hétéro normatif exclusiviste: Il faut reréfléchir ces explications qui confondent poly amour et polygamie. Ce sont des explications pleines de contradictions qui ne peuvent pas s’inscrire dans des luttes conséquentes .
Plusieurs personnes se sont mises d’un seul coup à justifier la polygamie en faisant l’amalgame avec le poly amour et les relations ouvertes / libres. Des explications qui prêtent à confusion loin de la réalité de la condition des femmes algériennes et loin de la vraie définition des possibilités liées au mariage dans la législation algérienne : la polygamie est une inégalité institutionnalisée au nom des normes purement et strictement religieuses et patriarcales, la polygamie est banalisée et acceptée juste au nom de ces même normes qui ne reconnaissent en rien ni les libertés, ni le poly amour, ni les relations non binaires : la polygamie chez nous et dans beaucoup de pays n’est pas du tout liée à l’amour, ni à la liberté, ni à la non binarité mais elle est liée étroitement à l’institution du mariage, au rôle réduit des femmes dans le mariage et toute l’histoire de l’origine de la famille ainsi que l’héritage pour et à travers les poules pondeuses que nous sommes sensées être selon l’histoire de la polygamie dans le patriarcat. Le poly amour par contre a été défini une fois que les critiques nécessaires ont permis de déconstruire et de rejeter la seule forme de mariage qui existe en Algérie. La forme même qui a permis à Si Rachid Skikdi d’épouser deux femmes le même jour.
C’est frustrant pour moi de voir la confusion absurde en ces moments de polémique ou les femmes sont encore traitées de sous citoyennes. Des sous citoyennes privées de beaucoup de droits et à qui on veut parler de relations libres choisies, alors que tout le monde sait que le seul choix qui s’offre à elles c’est d’accepter la polygamie ou non pour les hommes. Le choix pour elle d’une autre forme de relation amoureuse ou sexuelle reste quasi-impossible.
C’est frustrant aussi parce que les mots et les concepts ont un contenu théorique et politique qui ne peut avoir de sens que dans un cadre précis, si non ce n’est qu’un blabla incohérent. Et surtout il faut parfois assumer que nous sommes en train de justifier ce que nous sommes prêt.e.s à faire pour des intérêt personnels sans que ça soit inscrit dans un modèle égalitaire et sans oppression envers les femmes.
Si on peut qualifier la polygamie en Algérie de- liberté choisie- comme l’ont fait certaines féministes suite à la polémique provoquée par Si Rachid Skikdi: Que ces camarades féministes aillent présenter leurs grands concepts aux femmes qui subissent la polygamie sans la choisir : Rappellons-nous que c’est un privilège strictement masculin puis prenons nos arguments et déformations de concepts vers le futur.
Existe-il un homme qui a subi la polygamie ? Connaissons-nous des hommes qui ont peur qu’on la leur impose? Connaissons-nous des hommes qui ont peur de la polyandrie den Algérie et du coup peur que leurs femmes leur imposent un deuxième mari ? Si la réponse est non : ON NE PARLE PAS DE POLY AMOUR
Le poly amour et les relations libres passent surtout par l’abolition du mariage, l’abolition du code de la famille et l’abolition des religions : faire les choses dans un ordre inverse c’est juste applaudir les violences et les discriminations faites aux femmes, les cautionner, et y contribuer même. Le viol n’est même pas défini dans le code pénal algérien, le viol conjugal n’est pas criminalisé et on ose pourtant se voiler la face en inventant le choix et en confirmant un pseudo consentement pour ce qui existe malgré nous même si on le refuse.
Il y a une différence entre un droit naturel et un privilège illégitime dont jouissent certains hommes, en particulier ceux dont le capital est particulièrement intéressant, vu que dans l’inégalité des systèmes de domination; même les oppresseurs ne sont pas égaux entre eux: d’ailleurs ces hommes polygames sont probablement anti égalité et anti poly amours et anti relations libres. Ces hommes ne doivent pas nous étonner en voulant beaucoup de femmes, ils ne sont ni diables, ni anges, ni incroyables : ils sont la réalité conséquente d’un système auquel nous participons toutes et tous. L’unique différence c’est qu’ils sont les privilégiéss. Ils sont le résultat de notre refus actuel de s’insurger et de s’organiser contre l’inégalité de tout type, eux, souvent, ils ont le droit d’avoir aussi beaucoup de maisons, beaucoup de voitures, beaucoup d’objets chers qu’ils finissent par jeter une fois ennuyés. C’est pas pour un rien que le monsieur qui a fait le buzz nommé Si Rachid Skikdi, est un type qui a étudié à Nice et qui détient une école et une agence touristique .
Un internaute parmi d’autres sur Facebook a été étonné particulièrement par les femmes qui ont été offusquées par les posts de l’homme de Skikda qui a épousé le même jour deux femmes (et qui a médiatisé ça cherchant probablement le buzz au tour de quelque chose qu’il a voulu prouver): Cet internaute publie un post pour secouer les gens qui sont contre: <<pourquoi vous voulez imposer à la société d’abolir des modèles pour en imposer d’autres selon votre logique qui ne correspondent pas à ses choix et ses réalités>> puis le même monsieur dans le même paragraphe pour justifier la polygamie a défendu la situation en la qualifiant d’un poly amour et a fait un argumentaire pour les relations ouvertes: et là j’ai réalisé pour une nième fois le nombre de contradictions qu’a souvent l’humain en lui et pourquoi ça l’empêche d’avancer: comment penser que être contre la polygamie est une position qui n’a rien à avoir avec la réalité algérienne, puis parler de poly amour (dont la quasi-totalité de nos compatriotes doivent chercher sur google pour comprendre le sens) Est ce compliqué de réaliser que c’est l’explication et la justification au nom du poly amour qui impose un concept, une logique et un modèle à la société. Un concept qu’elle ne reconnaît même pas dans sa grande majorité et qu’elle n’acceptera pas avant d’arriver au stade où y aura volonté collective d’abolir le code de la famille, et même l’institution du mariage : Faisons un tour chacun de son côté pour demander à un échantillon représentatif son avis, pour savoir si ça a du sens ce débat, ou juste allons chez Si Rachid et ses deux femmes qui restent sans nom, sans voix et sans histoires, si il et elles sont pour les relations libres !
Pour finir je sais cette occasions aux lectrices et aux lecteurs de faire des recherches, il y a beaucoup de publications sur les normes imposées dans le système patriarcal binaire dont la polygamie : qui même quand on n’est pas deux, correspond au modèle binaire ultra patriarcal, et non pas aux relations libres non binaires choisies .
Il faut aussi lire l’unique texte loi qui régit et permet ce que certains tentent d’appeler poly amour: -article 08- du code de la famille qui permet à l’homme : et uniquement l’HOMME d’avoir un Harem.
Regardons aussi l’une des quelques pages du livret de famille algérien apparemment défendues et acceptées par celleux qui pourtant semblaient défendre l’égalité pour rappeler que c’est au nom de la CHARIA et le CODE DE L’INFAMIE et l’inégalité , et rien d’autre.
Dans le livret de famille il y a 4 pages pour les épouses et une page unique pour le patriarche citoyen qui ne risque pas d’être à la rue s’il n’a pas de garçon avec l’une des épouses. Dans le même code il y a des éléments qui rappellent la complexité du débat à propos du choix. Le choix ne se limite pas au choix d’accepter d’être une deuxième épouse, il y a beaucoup d’autres questions : cette personne choisira t’elle d’avoir des garçons ou des filles ? Choisira t’elle les droits inégalitaires entre les enfants notamment les enfants de sexes différents ? Choisira t-elle de devoir être comme une étrangère si son mari meurt et qu’elle n’a pas eu un garçon avec lui? Choisira t’elle le refus ou la rupture de ce contrat quand ça sera violent ou plus intéressant ? Choisira t-elle quand la loi ne lui permettra pas de retirer le passeport de son enfant? Non à ce moment seul son indépendance économique choisira pour elle les solutions ou y’aura quand même des dégâts : Tel que nous avons observer dans notre lutte quotidienne avec les femmes, elle devra probablement se satisfaire d’avoir tenter de s’en sortir avec le minimum de dégâts possibles, comme nous toutes dans ce système inégalitaire.
Conclusion de cette critique des argumentaires pro polygamie : le poly amour est permis là où c’est permis à l’homme et la femme de faire autrement.
Amel Hadjadj
Le Journal Féministe Algérien