Covid-19 : conséquences sur les femmes vulnérables en Algérie
Contexte : féminisme et femmes en Algérie avant le Covid-19 :
Entre 2019 et 2020, les femmes algériennes ont, comme les autres Algériens, participé à un mouvement populaire impressionnant, vécu avec beaucoup d’enthousiasme et de ferveur.
Une société complètement transformée par rapport à celle des années 90’s a surgi au sein du Hirak. Après la décennie du terrorisme islamiste et 20 ans du régime Bouteflika qui ont laminé le champ intellectuel, culturel et politique de la société civile, beaucoup n’avaient pas réalisé avant ce mouvement que les femmes algériennes n’ont pas cessé d’évoluer et d’arracher des acquis, tel que le droit d’accès aux espaces publics, la scolarisation, la formation, et le travail.
Au sein même de ce paysage, le mouvement féministe algérien est resté fidèle à son histoire qui remonte au moins à 1947 (création de la première association de femmes musulmanes algériennes sous le colonialisme français par Mamia Chentouf), pour ne pas dire à l’histoire des femmes algériennes tout court, ces femmes qui n’ont jamais cessé de lutter pour l’amélioration de leur condition. Dès les premières manifestations en 2019, les féministes se sont organisées et ont créé des carrés féministes dans plusieurs villes, pour revendiquer un contenu de changement égalitaire, sans exclusion des femmes comme ce fut le cas au lendemain de l’indépendance, et aux lendemains des différents mouvements sociaux qu’a connu l’Algérie par la suite.
Des carrés et des initiatives féministes intergénérationnelles ont revendiqué haut et fort l’égalité effective entre les hommes et les femmes, l’abrogation du code de la famille qui ne peut pas correspondre théoriquement à la démocratie et à la justice sociale que revendique le Hirak du 22 février 2019, sans oublier la lutte contre les discriminations et les violences de tout genre à l’égard des femmes. Trois rencontres nationales ont eu lieu depuis, (béjaïa en juin 2019, Oran en octobre 2019, et Tizi Ouzou en février 2020) dans le but de s’autoorganiser et reconstruire le mouvement féministe algérien particulièrement affecté par les évènements et le terrorisme des années 90’s, ainsi que par les lois liberticides qui n’ont pas épargné les associations de femmes. Il était surtout question de restituer la mémoire et l’histoire, faire un état des lieux, et réfléchir une feuille de route pour arracher ce qui revient aux algériennes de droit.
Au niveau des lois, l’Algérie a signé et ratifié beaucoup de conventions, et de chartes, et il n’y a que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (la CEDAW) qui a été ratifiée avec des réserves. La constitution algérienne parle d’égalité entre les citoyens et les citoyennes, mais certaines lois la réduisent à une formalité inapplicable et rejoignent les pratiques sociales inégalitaires et discriminatoires. À titre d’exemple le code de la famille promulgué en 1984. Ce dernier perpétue et consacre les violences et la discrimination à l’égard des femmes, en régissant les rapports hiérarchiques dans les familles et en légalisant plusieurs situations d’inégalité, malgré les amendements obtenus difficilement en 2005. La participation des femmes à la vie politique est soutenue en 2012 par une loi indiquant un quota minimal de participation des femmes (représentantes à l’assemblée générale). Le code pénal est amendé en 2015, et si les femmes n’obtiennent malheureusement pas de loi-cadre contre les violences qu’elles subissent, la loi condamnera cependant les violences verbales, physiques, symboliques et économiques entre conjoints, avec une clause appelée « la clause du pardon » stipulant l’arrêt de la procédure judiciaire au cas où la victime pardonne à son agresseur, sans prendre en compte les pressions que subissent les femmes pour pardonner et donc abandonner les poursuites judiciaires. Cet amendement renforce la loi sur le harcèlement parue en 2004 (harcèlement au travail), et inclut le harcèlement dans les espaces publics.
Covid-19, féminisme et femmes en Algérie :
Juste avant l’annonce du confinement en Algérie à la fin du mois de mars 2020, des millions d’algériennes ont manifesté pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes « le 08 Mars 2020 ». Parmi elles, celles qui s’identifient au mouvement féministe algérien. Plusieurs sont les villes dont l’espace public a été occupé par les militantes pour les droits des femmes : Annaba, Oran, Bouira, Tizi Ouzou, Béjaïa, Alger, Constantine…
Deux semaines plus tard le confinement est annoncé, et les conséquences de la crise sanitaire seront d’emblée de double ampleur pour les femmes, les violences à leur égard ont été aggravée. A des degrés différents, dans une société qui est patriarcale, beaucoup de femmes se sont retrouvées en situation de vulnérabilité.
Très vite le mouvement féministe a organisé des réunions à distance, et des webinaires soulevant la question des violences faites aux femmes, l’absence de mécanismes et de moyens d’éloignement, de signalement, d’accompagnement et d’hébergement. La crainte étant de ne pas pouvoir venir en aide aux femmes qui vont devoir passer plus de temps avec leurs bourreaux à cause du confinement. Il faut savoir que plus de 80% des violences que subissent les femmes en Algérie se passent dans l’environnement intrafamilial (l’auteur en est soit le frère, soit le conjoint, soit le père, soit le fils…).
Les signalements sur les réseaux sociaux par les victimes ou leurs proches « Les réseaux sociaux étant des espaces accessibles relativement aux femmes dans toutes les régions du pays » ont été nombreux dès les débuts de la crise. Certaines associations comme le Réseau Wassila et l’association FARD (Femmes Algériennes revendiquant leurs droits) ont mis en place des cellules d’écoute et d’accompagnement psychologique et juridique. L’initiative appelée TBD (Tomorrow is a better day), pour les victimes de violences sexuelles, a développé un partenariat avec le syndicat des psychologues dans les 48 wilayas du pays pour offrir un service d’écoute et d’accompagnement téléphoniques aux victimes de violences sexuelles. Aussi deux féministes algériennes (Wiam Awres et Narimene Mouaci) ont lancé une initiative appelée « Féminicides Algérie » qui active à travers le recensement des féminicides dont la presse et les réseaux sociaux font état, avec la création d’un site reprenant l’essentiel de ces crimes à caractère misogyne.
Tout cela ne sera pas suffisant pour sauver les milliers de femmes victimes de tous types de violences, ni les 54 femmes assassinées et recensées par « Féminicides Algérie ». En l’absence de numéro vert, de transport, de mécanisme d’accompagnement des femmes victimes de violences, de moyens et de budget consacrés aux femmes vulnérables, des milliers de femmes majoritairement non autonomes financièrement, se sont retrouvées livrées à elles-mêmes. Le peu de centres d’hébergement existant et concentrés autour de la capitale ont fermé pour cause de Covid-19, et ceux qui sont restés ouverts ont dû réduire leurs capacités d’accueil à cause des mesures sanitaires et du manque de moyens. Les associations ont été elles-mêmes confrontées au manque terrible de moyens nécessaires à des actions efficaces.
Un appel intitulé « Halte aux violences faites aux femmes et aux féminicides » est lancé le 19 Aout 2020 par le collectif Femmes Algériennes Pour un changement pour l’égalité -FACE-, énonçant huit mesures urgentes, et malgré le fait que l’appel a rappelé qu’il s’agissait de sauver la vie des femmes, un silence complice a persisté. Le 08 Octobre de la même année, suite au féminicide de Chaïma, une jeune de 19 ans, violée, torturée et assassinée par son agresseur, des sit-in pour dénoncer les violences, les féminicides et le silence complice sont tenus à Alger, Oran, Béjaia, Constantine et Tizi Ouzou. Les sit-in ont été réprimés sauf à Béjaia et Tizi Ouzou alors que les féministes d’Oran ont été carrément arrêtées par les policiers et poursuivies en justice pour attroupement et non-respect des mesures sanitaires relatives au
Covid-19, pendant que des rassemblements très importants été tenus par les autorités elles-mêmes pour préparer le referendum du 1er novembre 2021.
Exacerbé par l’impuissance devant les nombreux cas signalés, le mouvement féministe ne baisse pas les bras et se met à travailler pour préparer une lettre ouverte (1) qui sera signée la veille du 25 Novembre 2020 par 22 collectifs et associations féministes. Cette lettre ouverte adressée aux responsables politiques, aux médias et à l’opinion publique et proposant en six points détaillés une stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes et pour la prévention des féminicides, sera la base d’une large campagne qui continue à ce jour pour mobiliser toutes les parties responsables et capables d’agir.
En parallèle de la campagne qui a porté la lettre ouverte « Basta aux violences et aux discriminations faites aux femmes», 03 autres initiatives voient le jour ; la première est la campagne portée par l’association Tharwa N’Fadhma N’Soumeur et le Collectif Assirem N’Yellis N’Djardjar et s’adresse aux agresseurs « Arrête toi », la seconde « Levons la main contre les violences faites aux femmes – Algérie » est lancée par des féministes algériennes indépendantes, dont Nadia Leïla Aïssaoui, et a mobilisé beaucoup d’algériennes qui ont levé leurs mains tatouées au henné, contre les violences, et la troisième concerne l’initiative des actrices algériennes : Les actrices algériennes unies contre les féminicides, lancée par Adila Bendimerad et Leïla Touchi.
Impact du Covid-19 et vulnérabilités des femmes en Algérie
En absence de chiffres officiels, en 2020, Féminicides-Algérie parle de 54 féminicides, et le constat des associations de lutte pour les droits des femmes et très alarmant. Sans avoir les données nécessaires pour mesurer de façon assez précise et comparative l’impact de la pandémie sur les femmes en Algérie, plusieurs témoignages ont permis la description de l’état des lieux, qui ne peut que confirmer que la majorité des femmes vivent dans un système qui les rend vulnérables, pour des causes liées à leur genre, à leurs âges, à leurs couleurs de peaux, à leurs origines, à leurs ethnies, à leurs classes sociales, à leurs orientations sexuelles… etc. Ce qui est relevé particulièrement est la vulnérabilité économique des femmes qui les exposent doublement aux violences de tous types : dans le marché formel du travail, les femmes (bien que majoritaires parmi les diplômé.e.s) ne représentent que 18% de la masse salariale. Plus de 65% des femmes qui travaillent activent dans le secteur informel, autrement dit, elles sont contraintes de choisir le travail précaire. Et toutes se partagent les postes les moins bien payés, résultat : Bien que la loi algérienne garantisse l’égalité salariale, les femmes se retrouvent majoritairement dans les postes les moins bien payés, 11% seulement sont à des postes de responsabilité, et moins de 2% à des postes décisionnels. Alors que beaucoup de femmes victimes de violences témoignent de l’achat de la paix dans le foyer à travers leur autonomie financière, le Covid-19 est venu toucher de plein fouet ce mécanisme d’auto-défense. Beaucoup seront les premières à ne pas être payées, parfois obligées de travailler sans mesures de protection, et avec des salaires réduits ou suspendus, voire même sacrifiées et licenciées : le travail informel : le secteur du non-droit. Et sans revenu, s’imposer ou se défendre deviennent des actes difficiles, car le pire c’est la conscience des agresseurs qu’elles n’ont nulle part où aller, et qu’elles dépendent d’eux. Durant cette année marquée par la crise sanitaire, beaucoup d’hommes et de femmes ont perdu leurs emplois, et ceci principalement sur le marché du travail informel.
C’est une zone de non droits, où faire valoir ses droits fait appel à des moyens que nous n’avons pas forcément quand le choix du travail précaire devient paradoxalement la seule alternative pour faire face à la précarité et à la dépendance économique. C’est le choix de nombreuses jeunes femmes, algériennes ou vivant en Algérie, et qui ont compris que leur émancipation, et parfois-même leur survie passent par leur indépendance financière et économique, surtout quand ces dernières se battent pour sortir des violences qu’elles subissent dans l’espace privé. La précarité économique de la quasi-totalité des victimes qui s’adressent aux associations de femmes ne permet pas la sortie des violences aggravées pendant le confinement par la présence sous le même toit de la victime avec son agresseur. Autre impact économique majeur sur les femmes, la faillite des milliers de petites entreprises et de petits commerces tenus par ces femmes (les artisanes, les coiffeuses, fabriquant des gâteau, des couturières…) qui ont fait face à la crise sans la moindre mesure d’appui en leur faveur ; d’ailleurs, elles sont très nombreuses aujourd’hui à devoir fermer leurs registres de commerce.
Cette précarité économique, les pratiques sociales, ainsi que l’absence de centres d’hébergement, de mécanismes d’éloignement, et de réponse de la part des autorités, n’ont pas été les uniques violences et facteurs de vulnérabilité auxquels ont été exposé les femmes en Algérie pendant la crise du Covid-
19. Il ne faut pas oublier le sort des femmes réfugiées ou sans statut (les migrantes), qui sont aussi dans les secteurs du travail informel, qui faisaient les ménages, et qui sont pour beaucoup dans des réseaux d’exploitation qu’elles ne peuvent dénoncer de peur d’être expulsées, ou violentées. Les femmes qui vivent dans des régions isolées, en l’absence de moyens de transports entre les wilayas, et celles qui sont atteintes de maladies chroniques ( VIH, Diabète…) alors que l’accès aux soins a été perturbé par la gestion du Covid-19, leur vulnérabilité économique aggravant la situation.
Les violences n’ont pas été l’œuvre des agresseurs seulement, et il nous faut nommer les violences et les auteurs : les violences systémiques des institutions, les violences juridiques des lois, les violences verbales et symboliques dans les médias qui banalisent et qui font même parfois l’apologie des violences, et la promotion du modèle féminin qui correspondrait le mieux aux aspirations du patriarcat.
Par ailleurs, les femmes dans les secteurs qui ont fait front contre le covid19 sont nombreuses, certaines y laisseront leurs vies (Médecin, infirmières, femmes de ménages) et cette réalité a secoué la conscience des algérien.ne.s. Ainsi, le décès d’une jeune médecin enceinte de 08 mois, et contaminée par le virus du Covid-19 qui a mis à nu les manquements du code de travail, de la loi sur la santé et concernant le congé de maternité surtout dans certains secteurs.
La pandémie du covid-19 qui est une violence en soi, n’arrive pas à son terme, son impact sur les femmes est conséquent, qu’il concerne les violences, le travail et le chômage, l’état psychologique, ou le poids des responsabilités (la charge mentale et le travail ménager non rémunéré et non partagé durant le confinement).
Malgré tout cela, la mobilisation est importante pour réduire son impact négatif sur les femmes, et particulièrement les femmes victimes de violences physiques, sexuelles, économiques. Et bien que le pouvoir algérien a saisi l’occasion de la crise pour réprimer la mobilisation des mouvements sociaux, les femmes et les féministes ont pu imposer à un certain degré dans les débats, leur existence et leurs urgences .
Amel Hadjadj